David Livingstone écrit sur les dessous de l’histoire depuis 30 ans et nous a accordé le droit de traduire plus de 170 de ses articles, soit le tiers de son incroyable Ordo ab Chao.


Paradoxalement, l’art moderne trouve ses origines dans le mouvement anti-art de l’avant-garde européenne connue sous le nom de Dada, qui a influencé des styles et des groupes ultérieurs, notamment le surréalisme, le situationnisme, le pop art et Fluxus. Dada a rejeté la raison et la logique, célébrant le non-sens, l’irrationalité et l’intuition. Dada, qui était lui-même influencé par le futurisme, et qui avait également des affinités politiques avec la gauche radicale, était une protestation contre les intérêts nationalistes et colonialistes bourgeois, et contre la conformité culturelle et intellectuelle dans l’art comme dans la société, que les dadaïstes croyaient être la cause première de la guerre. Dada a donc concentré sa politique anti-guerre en rejetant les normes en vigueur dans l’art par le biais d’œuvres culturelles anti-art.


Dada a été créé par un groupe d’artistes et de poètes associés au Cabaret Voltaire à Zurich. En face du Cabaret Voltaire vivaient Lénine, Karl Radek et Gregory Zinoviev, qui étaient occupés à planifier la révolution bolchevique 2. Bien que le cabaret soit le lieu de naissance du mouvement Dada, il accueille des artistes de tous les secteurs de l’avant-garde, dont les Marinetti du Futurisme, et des artistes radicalement expérimentaux, dont beaucoup vont exercer une profonde influence, notamment Kandinsky, Paul Klee, Giorgio de Chirico, Sophie Taeuber-Arp et Max Ernst. Le 28 juillet 1916, Hugo Ball donne lecture du Manifeste Dada et publie également un journal du même nom, qui présente des œuvres de Guillaume Apollinaire et dont la couverture est conçue par Taeuber-Arp.


Norman Finkelstein lie le Dada de Tzara à l’influence de la notion de « rédemption par le péché » des Sabbatéens et des Frankistes 7. Selon le poète juif américain Jerome Rothenberg, il existe « des liens historiques évidents entre les transgressions du messianisme et les transgressions de l’avant-garde. » 8. Rothenberg qualifie ces hérésies de « mouvements libertaires » et les relie à la réceptivité juive aux forces de la sécularisation et de la modernité, ce qui conduit à son tour au « rôle critique des juifs et des ex-juifs dans la politique révolutionnaire (Marx, Trotsky etc. ) et dans la poétique d’avant-garde (Tzara, Kafka, Stein, etc.) » 9. Milly Heyd soutient la thèse de Rothenberg, en faisant remarquer que « Tzara utilise une terminologie qui fait partie intégrante de la pensée juive et soumet pourtant ces mêmes concepts à son attaque nihiliste » 10. Tzara déclare que « Dada utilise toutes ses forces pour établir l’idiot partout. Il le fait délibérément. Et tend constamment vers l’idiotie elle-même… Le nouvel artiste proteste ; il ne peint plus (ce n’est qu’une reproduction symbolique et illusoire) » 11.
David LIVINGSTONE
1 – Marcel Duchamp, “I Propose to Strain the Laws of Physics.” ARTnews 34 (December, 1968), p. 62.2 – Menachem Wecker. “Eight Jewish Dada Artists.” The Jewish Press (August 30, 2006).
3 – Ibid.
4 – Alfred Brodenheimer. “Dada Judaism: The Avant-Garde in First World War Zurich.” Jewish Aspects in Avant-Garde: Between Rebellion and Revelation, edited by Mark H. Gelber, Sami Sjöberg (Berlin: Walter de Gruyter, 2017), p. 26.
5 – Ibid.
6 – Andrei Codrescu. The Posthuman Dada Guide: Tzara and Lenin Play Chess (Princeton University Press, 2009).
7 – Norman Finkelstein. Not One of Them in Place and Jewish American Identity (SUNY Series in Modern Jewish Literature and Culture, State University of New York Press, New York, 2001), p. 100.
8 – Ibid.
9 – Ibid.
10 – Milly Heyd. “Tristan Tzara/Shmuel Rosenstock: The Hidden/Overt Jewish Agenda,” in Washton-Long, Baigel & Heyd (Eds.) Jewish Dimensions in Modern Visual Culture: Anti-Semitism, Assimilation, Affirmation (Brandeis University Press, 2010). p. 213.
11 – Ibid.