I.1 Sur René Guénon et la Maçonnerie – Guénon et la Kabbale

Ancien Vénérable Maître de la Grande Triade, Karl van der Eyken expose certaines contradictions aux dissidents pourfendeurs de maçonnerie épris de guénonisme.

René Guénon (1886-1951) a exercé une influence considérable sur les droites nationales ou réactionnaires (Léon Daudet, Gonzague Truc, Antonin Artaud…), influence toujours présente de nos jours. Il a reçu un bon accueil chez les catholiques avec son livre Le Théosophisme, Histoire d’une Pseudo-religion, publié en 1921 dans une collection dirigée par Jacques Maritain, ainsi qu’avec L’Erreur Spirite en 1923 qui traite de l’origine et des théories du spiritisme. En 1924 il publia Orient et Occident suivi en 1927 de La Crise du Monde moderne, livres bien accueillis par l’Action française, séduite par la condamnation des principes démocratiques. On peut se demander si on a vraiment saisi la portée des remèdes guénoniens, parce que ceux-ci sont bien plus dramatiques que la maladie dont est atteint le monde moderne. Je reviendrai sur cet aspect de la question.Avant d’aborder les aspects doctrinaux de son œuvre, et pour situer son milieu social, procédons à une description succincte des rencontres de Guénon. Il a joué un rôle central dans le milieu ésotérique, occultiste et maçonnique, se considérant comme porte-parole de la grande Tradition primordiale (doctrine rosicrucienne), dont toutes les traditions particulières seraient issues. Entrons dans ce vaste sujet avec lui, qui, en 1905, s’inscrivit au collège à Paris en Mathématiques Spéciales en vue de préparer les concours des Grandes Écoles.

Loin du niveau requis, il fût obligé d’abandonner. En 1906 — à l’âge de 20 ans —, il était déjà reçu à l’Ordre Martiniste de Papus. Puis reçu par deux obédiences maçonniques liées à cet Ordre : la loge « Humanidad » (Rite National Espagnol) présidée par Téder1, et le Chapitre « INRI » où Theodor Reuss2 alla lui remettre le cordon de Kadosh du rituel de « Vengeance des couronnes royales et des tiares papales ». En dépit d’une courte carrière, celle-ci fût couronnée pour Guénon d’une patente 30e-90e degré du Rite de Memphis Misraïm.

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René Guénon (1925)

Guénon et la Kabbale

Le martinisme tire son nom de Martinez de Pasqually et est parfois appelé « martinézisme », afin de le distinguer des écrits de son secrétaire Louis-Claude de Saint Martin.

Mais le secrétaire étant tellement influencé par son « maître », cette distinction n’a de sens que pour certains puristes. Avec le martinisme, Guénon était imprégné de l’ésotérisme juif, la Kabbale, et de l’hermétisme rosicrucien. Qui était Martinez de Pasqually ? D’après Bernard Lazare3 :

« Il y eut des Juifs autour de Weishaupt, et Martinez de Pasqualis [l’orthographe varie], un Juif d’origine portugaise, organisa de nombreux groupes illuministes en France et recruta beaucoup d’adeptes qu’il initiait au dogme de la réintégration. Les loges martinézistes furent mystiques, tandis que les autres ordres de la franc-maçonnerie étaient plutôt rationalistes ; ce qui peut permettre de dire que les sociétés secrètes représentèrent les deux côtés de l’esprit juif : le rationalisme pratique et le panthéisme, ce panthéisme qui, reflet métaphysique de la croyance au dieu un, aboutit parfois à la théurgie kabbalistique. On montrerait facilement l’accord de ces deux tendances, l’alliance de Cazotte, de Cagliostro, de Martinez, de Saint-Martin, du comte de Saint-Germain, d’Eckartshausen, avec les encyclopédistes et les jacobins, et la façon dont, malgré leur opposition, ils arrivèrent au même résultat, c’est-à-dire l’affaiblissement du christianisme. Cela, encore une fois, servirait uniquement à prouver que les Juifs purent être les bons agents des sociétés secrètes […] ». Et Lazare d’ajouter : « Le cas de Martinez de Pasqualis est tout à fait spécial, et toutefois il ne faut pas oublier qu’avant d’organiser ses loges, Martinez était déjà initié aux mystères de l’illuminisme de la Rose-Croix ».

Guénon et le Congrès Spiritualiste de 1908

En 1908, Papus organisa à Paris le Congrès Spiritualiste, réunissant dix-sept obédiences maçonniques dont une obédience arabe « les Fils d’Ismaël ». Guénon était Secrétaire du Congrès, comme le montre une photo où il est assis à l’estrade d’honneur derrière Papus, revêtu d’un sautoir de l’Ordre Martiniste. Certains maçons pourraient objecter ici que parmi ces obédiences présentes il y en avait certaines qui n’étaient pas reconnues, faute de « régularité maçonnique ».

Il s’agit là d’un sophisme qui néglige l’essentiel. Cette soi-disant « régularité » est fondée sur une supercherie de continuité (donc non-interrompue) entre la Maçonnerie « opérative » et la Maçonnerie moderne, dite « spéculative ».

La Grande Loge de Londres, fondée en 1717, est la Loge « mère » de toute la Maçonnerie. Elle avait créé son rituel de toute pièce en s’inspirant de « La Nouvelle Atlantide » du Rose-Croix Francis Bacon (1561-1626) où réapparaît après 15 siècles (!) le Temple de Salomon, « maison de la science » (sic)4. Au départ la Grande Loge de Londres ne connaissait que deux degrés (salomoniens), le troisième n’étant pas apparu avant 17235. Les hauts-grades se sont greffés sur ces trois premiers degrés, la « moelle » maçonnique. C’est la diversité des hauts-grades qui est à l’origine des différents Systèmes, engendrant prétention et rivalité autour de la pseudo-question de « régularité ». De ce fait, la question concernant la « régularité maçonnique » ne se pose pas ! Et, il va de soi que cette question n’influe nullement sur la même finalité, à savoir le libéralisme antidogmatique (à chacun sa vérité), qui ne peut que viser la seule institution dogmatique existante, l’Église catholique.

Qui était Papus ? Le Dr Gérard Encausse (1865-1916), dit « Papus », était membre de la Société Théosophique, de l’Hermetic Brotherhood of Luxor (H. B. of L.), de l’Hermetic Order of the Golden Dawn, co-fondateur et premier Grand Maître de l’Ordre Martiniste et co-fondateur, avec Stanislas de Guaïta, de l’Ordre kabbalistique de la Rose-Croix6. Papus nomma John Yarker pour lui succéder à la tête de l’Ordre Martiniste, Yarker 7 dont le cercle de relations comprenait, entre autres, Mazzini et Garibaldi…

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Gérard Encausse, dit Papus

Selon des biographes guénoniens, Guénon aurait rompu avec Papus à cause de cette phrase dans son discours d’ouverture : « Les sociétés futures seront transformées par la certitude de deux vérités fondamentales du spiritualisme : la survivance et la réincarnation ». Le Congrès ayant eu lieu le 7 juin 1908, la rupture fût consommée seulement le 6 juin 1909, un an plus tard ! Détail insignifiant, mais c’est précisément la présentation — la « communication » des faits —, qui, généralement, conditionne l’opinion. Alors, qui a pris l’initiative de cette rupture ? D’une portée qui dépasse celle du simple « incident », les biographes présentent la fréquentation de Guénon, dans ce milieu infernal, comme un bienfait. Ils fondent leur argumentation sur une réponse donnée par Guénon à ceux qui lui reprochaient clairement cette fréquentation : « Si nous avons dû, à une certaine époque, pénétrer dans tels ou tels milieux, c’est pour des raisons qui ne regardent que nous »8. Sa réponse n’est rien d’autre que la réponse habituelle à une question relative à la vie privée qui, évidemment, ne regarde personne.

On présente Guénon comme un investigateur de la « régularité initiatique »9, un « inquisiteur de l’ésotérisme ». Afin de couper court à ces allégations, il suffit de regarder les titres de quelques écrits non-publiés, rédigés en 1905 ou 1906 par le « jeune » martiniste. Guénon composa une dizaine de poèmes, ainsi que le début d’un roman intitulé La Frontière de l’Autre Monde. Les titres de ses poèmes sont particulièrement éloquents : Le Vaisseau fantôme, Baal Zeboub, La Grande Ombre noire, Litanies du Dieu noir, Les Aspects de Satan…, Satan-Panthée (ad majorem Diaboli Gloriam). Et dans « la grande Ombre noire », un possédé est délivré par un sorcier, donc pas par un prêtre… Cet état d’esprit du « jeune » Guénon témoigne manifestement en quoi ses préoccupations étaient très éloignées d’un « lucide investigateur » !

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Paru dans L’Héritage en juin 2018 

Karl VAN DER EYKEN

1 – Henri Charles Détré (1855-1918), dit « Téder », avait été expulsé de Belgique en 1884, et il est fort possible qu’il ait été l’agent d’un service secret non précisé pour le compte de la puissance impérialiste britannique.

2 – Theodor Reuss (1855-1923) était d’origine germano-anglaise, qui fût tout à la fois occultiste, anarchiste, espion prussien et promoteur des droits de la femme. Vers 1895 fut fondé l’Ordo Templis Orientis (OTO) dirigé par Karl Kellner (1850-1905), puis par Reuss. L’OTO a été développé en arrière-loge maçonnique et martiniste de Memphis Misraïm. Reuss et Kellner étaient des adeptes de la magie sexuelle, la « Voie de la Main Gauche » (Vâmâcâra). Le membre le plus notoire de l’OTO est Aleister Crowley (1875-1947) « The Great Beast », adepte connu de la magie sexuelle ; il était aussi espion britannique.

3 – L’Antisémitisme, son Histoire et ses Causes, 1894, pp. 339-340.

4https://noach.es/2017/01/04/imposturedelafrancmaconneriechretienneettraditionaliste/

5 – Alec Mellor, Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie et des Francs-Maçons, Pierre Belfond, 1971-1979, cf. Maître/Maîtrise : « Quand et comment le 2nd Grade se dédoubla-t-il ? Tel est le problème. En dépit d’immenses recherches, il demeure obscur. La légende d’Hiram, âme de notre 3ème Degré, est d’origine discutée ». Daniel Ligou, Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie, PUF, 1987, cf. Maître : « L’initiation au grade de Maître gravite tout entière autour de la légende d’Hiram, constructeur du temple de Salomon et assassiné par trois Compagnons. On ignore quand et comment la légende d’Hiram a pénétré la Franc-Maçonnerie. »in

6 – Papus a rendu plusieurs visites à la Russie pour y rencontrer des Martinistes parmi lesquels se trouvait le « maître » guérisseur Philippe de Lyon, qui l’introduisit à la cour du Tsar. Ultérieurement, Papus et Philippe se sont faits expulser de Russie, soupçonnés d’espionnage. Papus avait également des liens avec plusieurs archiducs et archiduchesses affiliés au Martinisme, dont les sœurs Anastasia et Militza de Monténégro.

7 – John Yarker (1833-1913), Grand Maître du Rite de Memphis Misraïm et membre de la Loge de Recherches Quatuor Coronati (Loge de Recherches maçonnique, référence en la matière) avait inventé de toutes pièces un rite avec Clement Stretton (1850-1915), connu sous le nom de « Système de Stretton ». Ce Rite a été présenté comme une survivance de l’ancienne maçonnerie opérative, qui avait été accepté comme telle pendant des décennies par beaucoup de maçons, y compris Guénon qui s’y réfère encore dans son livre La Grande Triade en 1946. À ce sujet : http://pierresvivantes.hautetfort.com/archive/2013/12/15/rene-guenon-et-les-origines-de-la-franc-maconnerie-les-limit-5247265.html Pour une fois nous connaissons l’auteur d’un rituel ; les auteurs sont toujours inconnus — on comprend trop bien pourquoi…

8 – Le Voile d’Isis, 1932, p. 351.

9 – Aperçus sur l’Initiation, 1946, ch. V, « De la régularité initiatique ». Avec Guénon, je n’indique que les chapitres et non les numéros de page en raison des multiples rééditions avec leur propre pagination.

100 – Terme employé dans la revue La Gnose, 1911, N° 2, Le Symbolisme de la Croix.

11 – L’Erreur spirite,1923, 2ème partie, chap., VI « La réincarnation ».

12 – Hayyim Vital, Sepher Ha-Guilgulim, « Traité des Révolution des Âmes » d’après Isaac Louria, Archè Milano, 1987. Hayyim Vital (1542-1620) était un disciple d’Isaac Louria.

13 – Gershom Scholem, Aux origines religieuses du Judaïsme laïque, de la Mystique aux Lumières, Calmann-Lévy, 2000, p. 209. Sabbataï Tsevi, Verdier, 1983, p. 287 : « Dans le messianisme cabalistique de Nathan [le « maître manipulateur » de Sabbataï Tsevi], l’âme du messie est engloutie par les qlippoth jusqu’au moment de sa manifestation. La racine sainte de l’âme du messie est entourée par une « coquille » (c’est-à-dire une force démoniaque) qui n’est autre que Jésus. »

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