III.9.i Avant-Garde – Salon de la Rose-Croix

David Livingstone écrit sur les dessous de l’histoire depuis 30 ans et nous a accordé le droit de traduire plus de 170 de ses articles, soit le tiers de son incroyable Ordo ab Chao.

L’idée de connaissance supra-rationnelle, omniprésente dans l’oeuvre de René Guénon, a inspiré les milieux artistiques d’avant-garde qui ont cherché à dépasser la pensée rationnelle, en particulier le mouvement surréaliste 1. Mark Antliff, dans Le Fascisme d’Avant-Garde : la Mobilisation du Mythe, de l’Art et de la Culture en France, 1909-1939, a étudié le rôle central que les théories des arts visuels et de la créativité ont joué dans le développement du fascisme en France, et son influence formatrice sur l’histoire de l’art d’avant-garde. Entre 1909 et 1939, un nombre surprenant de modernistes ont été impliqués dans ce développement, y compris des figures aussi connues que le peintre symboliste Maurice Denis, les architectes Le Corbusier et Auguste Perret, les sculpteurs Charles Despiau et Aristide Maillol, la photographe « Nouvelle Vision » Germaine Krull, et le fauve Maurice Vlaminck.

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Joséphin Péladan (1858 – 1918)

L’œuvre de Dante Gabriel Rossetti a également influencé les Symbolistes européens, un mouvement artistique de la fin du XIXe siècle d’origine française, russe et belge dans la poésie et d’autres arts. En littérature, le style a débuté avec la publication des Fleurs du Mal (1857) de Charles Baudelaire, qui a marqué la naissance du modernisme dans la littérature 2 Jean Moréas a publié le Manifeste des Symbolistes (« Le Symbolisme ») dans Le Figaro le 18 septembre 1886, qui désigne Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé et Paul Verlaine comme les trois poètes principaux du mouvement.

61tnkruebgl._sl250_L’un des promoteurs les plus colorés du Symbolisme à Paris est le critique d’art et de littérature (et occultiste) Joséphin Péladan (1858 – 1918), qui fonde l’OKR+C avec Papus, Saint-Yves d’Alveydre et Stanislas de Guaita 3. Traditionnaliste catholique, Péladan répudie les idéaux de la Révolution française et la « Liberté, égalité, fraternité » de la franc-maçonnerie du Grand Orient, en déclarant en 1883 : « Je crois à l’idéal, à la tradition et à la hiérarchie » 4, mais un schisme est apparu dans l’ordre en raison du comportement excentrique de Péladan, qui a condamné publiquement une femme de la dynastie bancaire Rothschild 5. En 1890-1891, Péladan abandonne l’OKR+C et crée son propre Ordre de la Rose-Croix catholique du Temple et du Graal, qui regroupe de nombreux artistes symbolistes de renom de l’époque. La raison de cette scission était que Péladan « refusait de s’associer au spiritisme, à la franc-maçonnerie ou au bouddhisme » 6, tandis que Stanislas de Guaita disait ne pas vouloir transformer l’ordre en un salon d’artistes 7.

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Affiche promotionnelle pour le Salon de la Rose + Croix de Josephin Péladan.

Péladan considérait que son ordre rosicrucien répondait à un objectif religieux, celui d’encourager la résurgence des arts en déclin :

Artiste, tu es prêtre : L’art est le grand mystère et, si votre effort aboutit à un chef-d’œuvre, un rayon de divinité descendra comme sur un autel. Artiste, tu es un roi : L’art est le véritable empire, si votre main trace une ligne parfaite, les chérubins eux-mêmes descendront pour se délecter de leur reflet… Ils pourraient un jour fermer l’église, mais [et] le musée ? Si Notre-Dame est profanée, le Louvre officiera… L’humanité, ô citoyens, ira toujours à la messe, quand le prêtre sera Bach, Beethoven, Palestrina : on ne peut pas faire de l’orgue sublime un athée ! Frères dans tous les arts, je lance un cri de guerre : formons une milice sainte pour le salut de l’idéalisme… nous construirons le Temple de la Beauté… car l’artiste est un prêtre, un roi, un mage, car l’art est un mystère, le seul véritable empire, le grand miracle 8.

Le Salon de la Rose + Croix de Péladan, qui a donné naissance à l’OKR+C, était une série de six salons d’art et d’écriture d’avant-garde qu’il a accueillis à Paris dans les années 1890 9. Péladan voulait que le Salon crée un forum pour les artistes qui rejetaient l’art académique officiellement approuvé par l‘Académie des Beaux-Arts, et les impressionnistes influents. Péladan a appris de Wagner l’idée que l’art pouvait assumer les fonctions de la religion. L’affiche du cinquième salon, en 1896, représentait Persée tenant la tête tranchée d’Émile Zola, en référence à l’histoire mythologique dans laquelle Persée décapita la Méduse de Gorgone. « L’artiste est un prêtre, un roi, un mage », proclamait-il 10. La doctrine de Péladan mettait l’accent sur la promotion des arts « surtout ésotériques », dans l’espoir de « surmonter le matérialisme européen » 11. Les artistes d’avant-garde du salon comptaient parmi eux de nombreux peintres, écrivains et compositeurs de musique symbolistes de premier plan. Des écrivains aussi divers que Paul Valéry, André Gide, André Breton et Louis-Ferdinand Céline ont lu Péladan avec intérêt, tout comme Le Corbusier 12.

David LIVINGSTONE

1 – Xavier Accart. René Guénon ou le renversement des clartés : Influence d’un métaphysicien sur la vie littéraire et intellectuelle française (1920-1970) (Paris, Archè EDIDIT, 2005), p. 118.
 

2 – Clement Greenberg. “Modernism and Postmodernism.” William Dobell Memorial Lecture, Sydney, Australia, Oct 31, 1979. Arts 54, No.6 (February 1980).

3 – Marcel Roggemans. History of Martinism and the F.U.D.O.S.I (Lulu.com, 2009), p. 36.

4 – Joséphin Péladan, “L’esthetique au salon de 1883,” L’Artiste, Vol. 1, May 1883, cited in Richard Cavendish (ed.), Encyclopaedia of the Unexplained (New York: Arkana, 1974), p. 216; Cited in Kerry Bolton. “Joséphin Péladan & the Occult War Against Liberal Decadence.” Retrieved from https://www.counter-currents.com/2018/10/josephin-peladan-the-occult-war-against-liberal-decadence/

5 – Kerry Bolton. “Joséphin Péladan & the Occult War Against Liberal Decadence.” Retrieved from https://www.counter-currents.com/2018/10/josephin-peladan-the-occult-war-against-liberal-decadence/

6 – Tobias Churton. Gnostic Philosophy: From Ancient Persia to Modern Times (Rochester, Vermont: Inner Traditions, 2005). p. 322.

7 – André Billy (1971). Stanislas de Guaita (in French). p. 37.

8 – Péladan. Catalogue du Salon de la Rose + Croix (Paris: Galerie Durand-Ruel, 1892), pp. 7-11, cited by Sasha Chaitow, “Making the Invisible Visible: Péladan’s Vision of Ensouled Art” (August 6, 2015).

9 – André Billy (1971). Stanislas de Guaita (in French). p. 37.

10 – Ibid.

11 – John Michael Greer. The New Encyclopedia of the Occult (Llewellyn Worldwide, 2003). p. 365.

12 – Alex Ross. “The Occult Roots of Modernism.” The New Yorker (June 26, 2017).

 

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