II.16.iv Carbonari – Socialisme Utopique

David Livingstone écrit sur les dessous de l’histoire depuis 30 ans et nous a accordé le droit de traduire plus de 170 de ses articles, soit le tiers de son incroyable Ordo ab Chao.

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Henri de Saint-Simon (1760 – 1825)

Buonarroti et Auguste Blanqui ont influencé les premiers mouvements ouvriers et socialistes français 1. Comme le note Julian Strube, dans « Socialist Religion and the Emergence of Occultism », « En effet, littéralement, toutes les historiographies françaises du socialisme publiées entre les années 1830 et le début des années 1850 décrivaient les socialistes de la Monarchie de Juillet comme les héritiers de mouvements tels que le « mysticisme », l’« illuminisme » et la « théosophie » 2. Selon Carolina Armenteros, les écrits de de Maistre ont influencé non seulement les penseurs politiques conservateurs, mais aussi les socialistes utopiques 3. Les Saint-Simoniens, partisans des idées de Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825), franc-maçon inspiré par de Maistre, le « père » du traditionalisme catholique, ont formé la première école socialiste influente en France 4.

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Napoléon en visite à l’Ecole Polytechnique le 25 avril 1815.

La majorité des Saint-Simoniens sont des étudiants et des anciens élèves de la prestigieuse Ecole Polytechnique. L’école a été créée en 1794 par le célèbre mathématicien Gaspard Monge (1746 – 1818) et Lazare Carnot (1753 – 1823) pendant la Révolution française, et a été une académie militaire sous Napoléon en 1804. Monge était un franc-maçon convaincu et un membre éminent de la loge maçonnique Neuf Soeurs, et l’un des plus proches amis et conseillers de Napoléon 5. Avant que Napoléon n’envahisse l’Égypte et n’occupe le Caire à la fin du XVIIIe siècle, il a chargé Monge de rassembler un groupe de savants de premier plan, appelés les lumières  pour accompagner l’expédition. Lazare Carnot, qui était également franc-maçon 6, était connu comme l’organisateur de la victoire dans les guerres révolutionnaires françaises et les guerres napoléoniennes. Carnot a également rencontré et étudié avec Benjamin Franklin. En 1800, Napoléon nomme Carnot au poste de Ministre de la Guerre.

Ces développements du catholicisme français ont trouvé leur expression la plus célèbre dans le mouvement dit « néocatholique » qui a émergé autour du prêtre Félicité de Lamennais (1782 – 1854), qui voulait réconcilier le catholicisme avec la société post-révolutionnaire, en établissant un catholicisme libéral, progressiste et social. De même, Saint-Simon, dans ses Lettres d’un habitant de Genève (1803), avait suggéré l’établissement d’une religion scientifique, un « Culte de Newton », où les scientifiques devaient prendre la place des prêtres. En 1825, l’année de sa mort, Saint-Simon publia son célèbre Nouveau christianisme, qui allait devenir son ouvrage le plus réussi et sans doute le plus influent, dont le but était de « rajeunir » le christianisme, en le purgeant des enseignements des églises corrompues et « hérétiques » et de leurs « pratiques superstitieuses et inutiles » 7. Les Saint-Simoniens se voyaient comme les hérauts d’un nouvel Âge d’Or qui allait surmonter la fragmentation sociale et réaliser une unité harmonieuse de la religion, de la science et de la philosophie. Selon Saint-Amand Bazard (1791 – 1832) :

Les Saint-Simoniens croyaient fermement au progrès de l’humanité, selon le schéma évolutionniste du fétichisme, du polythéisme, du monothéisme et d’une synthèse finale : 7 à la suite de Saint-Simon, et en son nom, nous proclamerons que l’humanité a un avenir religieux ; que la religion de l’avenir sera plus grande, plus puissante que celles du passé ; qu’elle sera, comme tous ceux qui l’ont précédée, la synthèse de toutes les conceptions de l’humanité, et de toutes ses manières d’être ; qu’elle ne dominera pas seulement l’ordre politique, mais que l’ordre politique, dans son ensemble, sera une institution religieuse 8

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Charles Fourier (1772 – 1837)

Après l’échec de l’église saint-simonienne, l’école sociétaire des disciples de Charles Fourier (1772 – 1837) devient l’école socialiste la plus influente de France. À l’instar de Saint-Simon, qu’il accusait notamment de plagiat, Fourier s’efforce d’établir une nouvelle « science universelle » réconciliant science et religion, se présentant comme le successeur de Newton et de Jésus-Christ 9. Dans ses Nouvelles transactions sociales, religieuses et scientifiques (1832), Just Muiron (1787-1881), un des disciples de Fourier, déclare l’identité des idées de Fourier avec les théories magnétiques et physiologiques de Mesmer, Puységur et Lavater, ainsi qu’avec les théories « théosophiques » et « mystiques » d’illuminés comme Fénelon, Madame de Guyon, Swedenborg, Saint-Martin, et Fabre d’Olivet, un martiniste et astrologue français de premier plan qui avait été engagé par Napoléon comme l’un de ses conseillers. 10

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Alphonse Louis Constant (1810 – 1875), dit Eliphas Lévi

Fabre d’Olivet a exercé une profonde influence sur le célèbre occultiste Eliphas Lévi (1810 – 1875), de son vrai nom Alphonse Louis Constant, un ancien diacre qui a dû abandonner sa carrière cléricale peu avant sa consécration, et qui était l’un des socialistes français les plus radicaux des années 1840 11. En 1832, Constant entre au séminaire de Saint-Sulpice pour étudier en vue d’entrer dans la prêtrise catholique romaine, mais il tombe amoureux et part en 1836 sans être ordonné. Il passe les années suivantes parmi ses amis socialistes et romantiques, dont Henri-François-Alphonse Esquiros et des petits romantiques comme Gérard de Nerval et Théophile Gautier. Pendant cette période, il se tourne vers un socialisme radical inspiré par de Lamennais. Au cours des années 1840, Constant développe des liens étroits avec le mouvement fouriériste, publiant dans des publications fouriéristes et faisant l’éloge du fouriérisme en tant que « vrai christianisme ». Il s’est également tourné vers les écrits du traditionaliste catholique Joseph de Maistre. Il collabore avec Charles Fauvety pour publier en 1846 une revue intitulée La vérité sur toutes choses, Constant était connu pour son mélange de romantisme, de socialisme et de ce qu’il appelait le communisme néo-catholique 12.

Après que Constant eut adopté son nom occulte d’Eliphas Lévi, il allait devenir l’un des plus importants écrivains ésotériques de tous les temps 13. Lévi fut initié à l’occultisme par Hoene-Wronski. Dans une nécrologie, Lévi écrit que Wronski a « placé, en ce siècle de doute universel et absolu, la base jusqu’alors inébranlable d’une science à la fois humaine et divine. Il avait d’abord et avant tout osé définir l’essence de Dieu et trouver, dans cette définition même, la loi du mouvement absolu et de la création universelle »14.

David LIVINGSTONE

1 – Thomas Kurian (ed). The Encyclopedia of Political Science (Washington D.C: CQ Press, 2011. p. 1555.

2 – Julian Strube. “Socialist Religion and the Emergence of Occultism, a genealogical approach to socialism and secularization in 19th-century France.” Religion, 2016 Vol. 46, No. 3, p. 371.

3 – Carolina Armenteros. The French Idea of History: Joseph de Maistre and his Heirs, 1794-1854 (Ithaca, NY and London: Cornell University Press, 2011).

4 – M. Headings. French Freemasonry Under the Third Republic (Baltimore, John Hopkins Press, 1949).

5 – Graham Hancock & Robert Bauval. The Master Game: Unmasking the Secret Rulers of the World (Red Wheel Weiser, Jan. 1, 2011), p. 464.

6 – Paul Riche. « Complot contre la nation ? » L’Appel (August 21, 1941).

7 – Ibid., p. 30.

8 – Ibid., p. 240.

9 – Dino De Paoli. “Lazare Carnot’s Grand Strategy for Political Victory.” Executive Intelligence Review (September 20, 1996)

10 – Julian Strube. “Socialist Religion and the Emergence of Occultism, a genealogical approach to socialism and secularization in 19th-century France.” Religion, 2016 Vol. 46, No. 3, p. 365.

11 – Saint-Amand Bazard, ed. 1831. Doctrine de Saint-Simon: Première année (Paris: Au bureau de l’Organisateur.), p. 334.

12 – Julian Strube. “Socialist Religion and the Emergence of Occultism, a genealogical approach to socialism and secularization in 19th-century France.” Religion, 2016 Vol. 46, No. 3, p. 368.

13 – Just Muiron. Les nouvelles transactions sociales, religieuses et scientifiques (Paris: Bossange Prère, 1832), p. 148.

14 – Mark Booth, The Secret History of the World (Woodstock & New York: The Overlook Press, 2008) p. 373.

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